Engagé volontaire dans la Première Guerre mondiale
Le 28 juin 1914 , l'archiduc François-Ferdinand , l'héritier du trône d'Autriche, est assassiné à Sarajevo par un étudiant serbe. Le 31 juillet la mobilisation générale est proclamée à Berlin. Louis III , le roi de Bavière , envoie un télégramme à Guillaume II pour manifester de son soutien militaire.
La guerre est déclarée
Le 2 août 1914 , au lendemain de la déclaration de guerre du Kaiser, des milliers de Munichois se pressent sur l'Odeonplatz pour applaudir le roi de Bavière. Une photographie immortalise l'événement et Hitler y figure52 . Dans Mein Kampf il se déclare heureux de partir en guerre. C'est pourtant oublier qu'il a tenté de se dérober à l'armée autrichienne quelques années plus tôt. D'après son livret militaire il ne se serait présenté que seulement le 5 août au bureau de recrutement. Il est définitivement incorporé le 16 août comme « volontaire » dans le 1er bataillon du 2e régiment d'infanterie de l'armée bavaroise. Le départ du 16e régiment bavarois, dans lequel il vient d'être incorporé, pour le front est fixé au 8 octobre. Le train atteint la frontière belge le 22 octobre puis arrive à Lille le 2353 .
Le soldat Hitler
Le soldat Hitler connaît son baptême du feu le 28 octobre 1914 près d'Ypres . Au 1er novembre, son bataillon est décimé sur 3600 hommes, 611 seulement restent opérationnels. Pour récompenser son courage, Hitler est proposé par l'adjudant Gutmann à la décoration de la Croix de fer 54 . Il a la position d'estafette auprès de l'état-major de son régiment : il va chercher les ordres des officiers pour les transmettre aux bataillons. En période de calme relatif, l'estafette Hitler sillonne la campagne des environs de Fournes pour peindre des aquarelles55 . Durant toute la durée de la guerre, Hitler n'est resté qu'au grade de caporal 56 . Réputé pour son caractère difficile il est néanmoins apprécié de ses camarades. Lui proposer de « coucher avec des Françaises » le met hors de lui, puisque « contraire à l'honneur allemand »57 . Il ne fume pas, il ne boit pas, il ne fréquente pas le bordel. Le soldat Hitler s'isole pour réfléchir ou lire58 . Les quelques photographies connues de cette période présentent un homme pâle, moustachu, maigre souvent à l'écart du groupe. Son véritable compagnon est son chien Foxl et un jour il s'angoisse à l'idée de ne pas le retrouver : « Le salaud qui me l'a enlevé ne sait pas ce qu'il m'a fait. »59 Hitler est un véritable guerrier fanatique, aucune fraternité, aucun défaitisme ne doit être toléré. Il écrit :
« Chacun d'entre nous n'a qu'un seul désir, celui d'en découdre définitivement avec la bande, d'en arriver à l'épreuve de force, quoi qu'il en coûte, et que ceux d'entre nous qui auront la chance de revoir leur patrie la retrouvent plus propre et purifiée de toute influence étrangère, qu'à travers les sacrifices et les souffrances consentis chaque jour par des centaines de milliers d'entre nous, qu'à travers le fleuve de sang qui coule chaque jour dans notre lutte contre un monde international d'ennemis, non seulement les ennemis extérieurs de l'Allemagne soient écrasés, mais les ennemis intérieurs soient aussi brisés. Cela aurait plus de prix à mes yeux que tous les gains territoriaux. »
— Adolf Hitler, lettre à Ernst Hepp, 5 février 191542 .
La fin de la guerre
Le 7 octobre 1916 , un obus explose dans l'abri des estafettes : Hitler est blessé à la cuisse gauche. Il est soigné à l'hôpital de Beelitz près de Berlin . Après quelque temps au bataillon de dépôt, il demande à rejoindre son régiment ; le 7 mars 1917 il arrive à Vimy 60 . Fin septembre 1917 son régiment obtient deux semaines de permission, Hitler part pour Berlin. Le 13 octobre 1918 à proximité d'Ypres Hitler est gravement gazé. Il est envoyé à l'hôpital de Pasewalk en Poméranie . Lors du procès à Munich en 1923 il explique :
« C'était une intoxication par l'ypérite, et pendant toute une période j'ai été presque aveugle. Après, mon état s'est amélioré, mais en ce qui concerne ma profession d'architecte je n'étais plus qu'un estropié complet, et je n'aurais jamais cru que je pourrais un jour lire de nouveau un journal. »
— Adolf Hitler, procès de Munich (1923)61 .
Le séjour d'Hitler à Pasewalk est un tournant dans sa vie. À la date du 10 novembre, il raconte dans Mein Kampf , qu'incapable de lire les journaux, un pasteur apporte aux convalescents la nouvelle de l'instauration d'une république en Allemagne. En larmes il s'enfuit, dit-il, vers le dortoir : il se dit alors comme « frappé par la foudre » puis saisi d'une « révélation »62 . Hitler arrive à Munich le 21 novembre 1918. Sans famille, sans travail et sans domicile, sa préoccupation est de rester dans l'armée. Le 3 décembre il part pour le camp de prisonniers de Traunstein dans le sud de la Bavière comme gardien militaire. Puis le camp est supprimé, le soldat Hitler est renvoyé dans sa caserne le 25 janvier 1919 et arrive à Munich autour du 12 février63 . À Munich, les combats de rue s'intensifient, les ouvriers en armes défilent dans la ville et Kurt Eisner , le Premier ministre de Bavière, est assassiné en pleine rue par un mouvement d'extrême-droite. « Homme de confiance » de son état-major Hitler est nommé en avril à la tête de la commission d'enquête de son régiment sur les événements révolutionnaires64 .
Alors que l’Allemagne est sur le point de capituler, la révolution gagne Berlin et la Kaiserliche Marine se mutine. Le Kaiser Guillaume II abdique et part pour les Pays-Bas avec sa famille. Le socialiste Philipp Scheidemann proclame la République . Deux jours plus tard, le nouveau pouvoir signe l’armistice de 1918 . De son lit d’hôpital, alors qu'il avait retrouvé l'usage de ses yeux, Hitler est anéanti par cette annonce et redevient aveugle. Il affirme dans Mein Kampf y avoir eu une vision patriotique, et d'avoir sur le coup « décidé de faire de la politique ». Un mythe65 s'est construit sur cette « cécité hystérique » soignée par le médecin psychiatre Edmund Forster (de) , spécialiste des névroses de guerre, qui aurait entrepris une hypnothérapie sur Hitler à la suite de laquelle se serait structurées la paranoïa , la psychose et la vision patriotique du futur Führer, faits invérifiables car le rapport médical d'Hitler a disparu et le docteur Forster, surveillé par la Gestapo, s'est suicidé en 193366 .
Toute sa vie, Hitler adhéra au mythe du « coup de poignard dans le dos », diffusé par la caste militaire, selon lequel l'Allemagne n'aurait pas été vaincue militairement, mais trahie de l'intérieur par les Juifs , les forces de gauche, les républicains. Jusqu'à ses derniers jours, le futur maître du Troisième Reich resta obsédé par la destruction totale de l'ennemi intérieur. Il voulait à la fois châtier les « criminels de novembre », effacer novembre 1918, et ne jamais voir se reproduire cet évènement traumatique, à l'origine de son engagement en politique.
La figure d'un combattant héroïque
L’image du combattant héroïque de la Grande Guerre façonnée par Hitler dans Mein Kampf puis par la propagande nazie de la fin des années 1920 fait l’objet en 2011 d’une étude approfondie par l'historien Thomas Weber, appuyée sur les archives du Régiment List. Dans son ouvrage La première guerre d'Hitler 67 , il conclut à une large part de mystification, notamment due aux récits hagiographiques de Hans Mend et de Balthasar Brandmayer . Son régiment avait une très médiocre valeur militaire (unité peu entraînée, mal équipée, composée pour l'essentiel de paysans démotivés68 , 69 ) et n’a pas été engagé dans des combats décisifs. Hitler lui-même et la propagande auraient brodé par la suite sur l’image de l’estafette héroïque en première ligne, or Hitler a une mission d'estafette de régiment transportant les dépêches quelques kilomètres derrière la ligne de front et non d'estafette de bataillon ou de compagnie69 . Hitler aurait surtout été attaché à conserver son affectation auprès du commandement de son régiment, qui lui permettait de se tenir aussi protégé que possible des dangers de la ligne de front.
Une expérience fondatrice contestée
Thomas Weber insiste également sur les incohérences entre ce que révèle son étude à partir des sources disponibles sur le « régiment de List » (notamment les lettres et cartes expédiées par le soldat Hitler70 ) et l’image propagée par Hitler lui-même selon laquelle la Première Guerre mondiale aurait été pour lui un événement idéologiquement et politiquement décisif. S'opposant fortement aux conclusions antérieures de l'historien australien John Williams71 , il relève que « si cette approche était fondée, Hitler devrait être le personnage principal de cette histoire régimentaire de 1932 et non une figure fugace d'arrière-plan, cantonnée à un rôle presque insultant de second couteau72 » et conclut qu’à l’issue de la guerre, « son atterrissage dans les rangs ultranationalistes et contre-révolutionnaires semble avoir été dicté par des considérations de pur opportunisme autant que par de solides convictions »73 .